La maicresse d’école

Thomas Pitiot, 2004, in La Terre à Toto

La maîtresse est stressée ;
Il faut dire qu’aujourd’hui
Elle se fait inspecter.
Même si elle est habituée,
Elle a tout bien rangé,
Elle a dit « J’suis malade,
Ne me faites pas crier ».
La maîtresse est flattée ;
Y’a un ancien élève
Qui est venu l’embrasser.
Il est fier d’être inscrit
A la fac de Saint D’nis,
Il lui a dit « Vous êtes
Toujours la plus jolie ! ».
La maîtresse est soulagée ;
Hier soir le spectacle
S’est bien déroulé.
Il a un peu plu mais
Les parents étaient contents,
Elle a versé une larme
Pour les applaudissements.
 
Elle se souvient de la journée à la mer
Et d’ces gamins qu’avaient jamais goûté à l’eau salée,
Elle se souvient de la classe de neige comme hier
Et de ces gamins qu’avaient jamais vraiment bien vu l’hiver.
 
La maîtresse est comblée ;
Ils ont gagné l’concours
De poèmes cette année,
Avec une mention spéciale
Pour l’enfant turbulent
Qu’elle a sauvé de justesse
Du perfectionnement.
Dans la salle des maîtres
Elle a r’joint ses copines
Et celles avec qui elle
Mange pas à la cantine ;
Et le seul maître à bord,
Le seul homme, qui voulait
Etre pompier quand il était môme.
Elle dit qu’elle va s’syndiquer
Qu’elle peut plus supporter
De voir une nouvelle fois
Ces budgets tailladés.
Elle ira défiler, dès la rentrée,
Avec quelques parents
Par solidarité.
 
Et les langues de pierre, cœurs de vipère,
Qu’ont jamais rien donné qu’ont jamais rien offert
Diront du mal des fonctionnaires et d’la maîtresse,
Elle, elle chantera « Des moyens pour notre jeunesse ! ».
Elle se souvient d’la gamine raccompagnée
Chez les parents qui l’avaient oubliée.
Elle souvient des kilos de chocolat ED
Mangés car offerts avec sincérité.
Elle se souvient des dizaines de bracelets perlés,
Cadeaux de la maman qui parlait pas français.
Elle se souvient de ces petites bouches édentées
Des avalanches de bisous qui criaient « bonne année ! ».
 
La maîtresse est fatiguée,
Dans la classe silencieuse
Elle sent que c’est l’été ;
Pendant deux mois,
Personne ne l’appellera maîcresse,
Endormis les p’tits ils
Et elles avec un s.
La maîtresse commence à s’impatienter,
Elle a déjà fini
Tous ses romans d’été.
Le silence est
A deux doigts de l’agacer,
Elle attend que résonne
La cloche de la rentrée.